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Vous ajournez toujours les règles ascétiques,
Impraticables lois des athlètes antiques ! —
Sur le sable mouvant de la majorité,
Ah ! craignez d’établir votre règne agité !
Voulez-vous, en cédant à l’esprit populaire,
Voir la démocratie au sein du sanctuaire ?…
Aux jours tant regrettés de l’âge d’or chrétien
Les hommes courageux osaient faire le bien ;
Ils scellaient de leur sang et payaient de leur vie
La palme qui fleurit dans l’extase infinie !
Aucun despote humain, nul roi, nul empereur,
Ne pouvait aux martyrs faire embrasser l’erreur !
Pour arroser la croix, du cœur coulait la sève ;
Les victimes s’offraient avec joie et sans trêve ;
Les cœurs étaient brûlants d’héroïques désirs,
Et du sang des martyrs germaient d’autres martyrs !
Animés par l’esprit d’invincibles apôtres,
On voyait les chrétiens rivaux les uns des autres ;
Les vierges, en triomphe, accouraient à la mort,
Et comme Dieu lui-même expiraient sans effort ! —
 Pour féconder ton sein, il faudrait, Amérique,
Et les pleurs et le sang d’un amour héroïque !
Il faudrait la prière et les austérités,
La contemplation sur tes monts écartés ;
Il faudrait cet esprit d’ardeur et de folie,
L’esprit divin par qui la croix s’est établie ! —
 Ô vous, hommes sacrés, prophètes et Voyants ;
Vous, des temps primitifs séraphiques croyants :
Que diriez-vous de nous, — Jean, Paul, Ignace, Étienne ;
Dominique et François ; vous, l’élite chrétienne,
À force d’être fous, les plus sages de tous !
Vous, heureux insensés, que diriez-vous de nous ?
De nous, sages du monde, appelés raisonnables ;
De nous, qui rougissons des siècles mémorables,
Où régnait la folie ensemble avec la Croix ;
Où Jésus étant Dieu, les chrétiens étaient rois ?
Que diriez-vous de nous, en voyant notre vie,
Vous qu’on voyait passer, sublimes de folie,
Fermant à nos trésors votre cœur et vos yeux,
Pour ne voir et n’aimer que les splendeurs des cieux ?
Ah ! vous auriez pitié de notre vaine gloire ;
Et tristes, vous diriez : « Ils ont cessé de croire !
L’homme des temps anciens-était paganisé :
Le chrétien de ce siècle est protestantisé ! » —
Et criant vers le ciel, dans votre deuil austère,
Vous chercheriez en vain vos enfants sur la terre ! —
Et malgré tant de maux, je resterais muet ?
Oh ! que n’ai-je, aujourd’hui, la voix de Bossuet ?.
Que n’ai-je., pour tonner, la sauvage parole
Du rude Jacopone ou de Savonarole ?…