Page:Rouquette - L'Antoniade, 1860.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LA THÉBAÏDE AMÉRICAINE.

Séparateur

la solitude religieuse.


Mon empire est celui de la sérénité ;
C’est celui de l’amour et de la liberté,
Où, soumise à la grâce, en suivant la nature,
Dans l’ordre on voit enfin rentrer la créature ;
Mon temple est ombragé de feuillages épais ;
Mon temple est au milieu des sauvages forêts :
Lorsque l’homme y pénètre, une tristesse sainte,
Irrésistible et douce, une divine crainte,
Un solennel attrait, un mystique pouvoir,
Un charme caressant enlace son vouloir,
Le saisit et l’entraîne, ou doucement l’attire ;
Et libre en se livrant, il cède à mon empire !
J’eus pour premier disciple et solitaire amant,
L’homme, roi de l’Éden, immortel, innocent,
Heureux, tant qu’il fut seul !  ! — Mais Ève étant blessée,
L’homme suivit son sort… et je fus délaissée !
Je régnai sur les lieux où l’homme n’était plus ;
Et reine, j’héritai de tant de biens perdus ;
Et depuis qu’en exil l’homme marche et soupire,
Le paradis n’est plus qu’aux lieux où je respire ;
Et j’ai toujours compté pour disciples chéris
Les héros malheureux et les sages proscrits ;
Tous les hommes divins, las de la multitude,
Tous les contemplatifs, dans leur mansuétude,
Ont fui loin du séjour des populeux essaims,
Pour venir près de moi mûrir leurs grands desseins. —
J’ai vu venir à moi la race des prophètes,
Élie et son corbeau cachés dans mes retraites,
Élisée et David par l’orage emportés,
Et les Élus fuyant sur les monts écartés. —
J’ai vu venir à moi l’ascète Jean-Baptiste,
Du règne de la grâce austère Évangéliste ;
Et le disciple vierge, à Pathmos exilé,
Qui nous légua le livre où tout est révélé. —