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Dans leur enthousiasme, ils portaient leur regard.
Sur chaque frêle objet, qui se tient à l’écart,
Cherchant à s’élever, en soulevant mes voiles,
Du brin d’herbe à la fleur, et des fleurs aux étoiles. —
Oh ! que de cœurs profonds, lassés d’un monde vain,
Aspireraient la paix de ton esprit divin ;
Et rallumant le feu sur ton autel mystique,
Par toi feraient briller la gloire érémitique.
Viens ! j’ai des lacs d’azur, aussi grands que des mers.,
Semés d’îles sans nombre et bordés d’arbres verts.
De l’ardente vapeur sans emprunter la force,
J’ai pour nous transporter la nacelle d’écorce ;
Pour abriter les tiens, j’ai mes arbres fruitiers ; —
Des sauvages tribus nous suivrons les sentiers. —
Autrefois, j’ai nourri, dans leurs courses lointaines,
Et j’ai désaltéré de l’eau de mes fontaines,
Les rudes Pionniers, les sauvages trappeurs,
Troublant de mes forêts les sombres profondeurs.
Attentive à le suivre, en ma sollicitude,
De mes brillants oiseaux peuplant sa solitude,
En tous lieux, j’ai veillé, sans un jour d’abandon,
Sur mon peintre inspiré, l’immortel Audubon !
Des fruits de mes forêts, des poissons de mes fleuves,
Dans leur pèlerinage et leurs longues épreuves,
En tous temps, j’ai nourri mes nomades enfants,
Et le flot grossissant de pâles immigrants.
J’ai veillé sur vous tous, mes fils enthousiastes,
Boon, Irving et Cooper, — et vous, poètes chastes,
Que j’ai vus, dans la sainte et première ferveur,
Venir vous inspirer de mon esprit rêveur :
N’aurais-je pas le même amour pour les ascètes,
En foule s’ils venaient habiter mes retraites ?
Qu’ils viennent, dans la paix, me servir en priant :
L’Occident est plus riche en fruits que l’Orient !
Moi, nourrice féconde, immortelle Nature,
Moi qui veille avec soin sur chaque créature,
Je laisserais périr l’ermite qui viendrait
Pour habiter en paix un coin de la forêt ;
Pour se construire, là, loin de tout vain tumulte,
Une cellule étroite, en mon royaume inculte ?
Quoi ! j’oublîrais l’ermite et je nourris l’oiseau ?
Non ! j’aurais pour Élie un fidèle corbeau !
Le désert fleurirait, tressaillant d’allégresse,
Sous le pas virginal de la sainte ermitesse ;
Auprès de son abri, couvert de latanier,
Pour elle mûrirait la noix du pacanier,
La plaquemine d’or et la douce assimine,
Et du rare soco la grappe purpurine ;
Pour elle, au fond des bois où l’homme ne vit pas,
Un Ange servirait d’ascétiques repas. —