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L’Offrande.

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À ma mère Louise Cousin.

 
De ma Grande Patrie adoptant le langage,
J’ai cueilli quelques Fleurs[1], dans le désert sauvage ;
J’ai cueilli d’Humbles Fleurs, et ces fleurs ont trouvé
Un accueil qu’en mon cœur je n’avais pas rêvé : —
Mais un soir, au désert où je les ai cueillies,
Loin des sentiers connus, dans l’ombre ensevelies ;
Solitaire en ces bois, où Dieu nous parle, un soir,
Sous l’arbre des tombeaux, triste, je vins m’asseoir ;
Et là, tout absorbé dans ma tristesse amère,
Je crus, dans une plainte, ouïr ta voix, ma mère ! —
Ma mère, je crus voir, — comme un spectre amoureux
Écartant de son front le voile ténébreux, —
Je crus voir, près de moi, ton image inquiète ;
Je crus lire en tes yeux, où le ciel se reflète ;
Et tu me dis alors : — « Eh ! quoi, mon fils ingrat,
La langue maternelle, en perdant son éclat,
A-t-elle aussi perdu toute son harmonie ?
Pour toi, n’est-elle plus une langue bénie ?
Ce langage nouveau, qu’au mien tu préféras,
Cette langue Saxonne, oh ! ne la parle pas !
Reprends donc, ô mon fils, la langue maternelle,
Que tu parlais, enfant, à l’ombre de mon aile ;
La langue dans laquelle ont parlé mes amours,
La langue de ta mère, oh ! parle-la toujours :
Car l’oublier, vois-tu, c’est oublier ta mère ;
Car changer de langage est la même chimère
Que changer de patrie ; on reçoit en naissant
Le sceau divin transmis de la mère à l’enfant,
Le sceau qu’imprime au front le baiser d’une mère :
Ah ! parle-la toujours, la langue de ton père !
Garde, ainsi qu’un trésor, l’indivisible amour
De Dieu, de la famille et du natal séjour ;
Et poète inspiré, sur qui veille Marie,
Glorifie et l’Église et ta jeune patrie ! »
— Et l’ombre disparut ! — et je restai rêveur,
Avec sa douce image imprimée en mon cœur :
Alors, en reprenant ton langage, ô ma mère,
J’écrivis ce Poème, en ma tristesse amère !
Né dans la solitude et sous ton ciel natal,
Ce Poème est un fruit de l’amour filial.
Comme une fleur cueillie au désert du Lacombe,

  1. Wild-Flowers.