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nous donne une juste idée de sa mission sociale, nous avons employé tout le talent que nous avons reçu de Dieu pour glorifier la Religion et servir la Patrie, pour flétrir le mal et exalter le bien, pour faire haïr le vice et aimer la vertu :

La gloire ne peut être où la vertu n’est pas !

Il est facile de se faire, après coup, une poétique arbitraire, qui justifie la violation de toutes les règles du vrai beau, de ce qui est honnête et décent ; mais le vrai beau subsiste immuable comme Dieu, qui en est la source infinie ; et tôt ou tard, les profanateurs de son culte trouvent le juste châtiment de leur crime ou de leur légèreté dans le mépris et l’oubli des juges compétents. L’abus d’un don sacré est un sacrilège et c’est le poëte sacrilège que Platon chasse de sa République.

Ah ! nous comprenons la défaveur qui s’attache à la poésie actuelle, l’espèce de proscription qui la frappe impitoyablement, la honte et l’infamie dont elle est devenue l’objet, tant elle s’est détournée de sa véritable destination, tant elle a renié sa divine origine et abdiqué son ministère sacerdotal ! Les poètes sont aujourd’hui les plus grands corrupteurs de l’humanité ; la Muse n’est plus qu’une vile courtisane de l’impiété et de la révolution. Elle que nous voyons apparaître au berceau des sociétés comme une chaste législatrice, comme un ange gardien et civilisateur, elle n’est plus que l’impudique excitatrice ou l’esclave passive de tous les mauvais instincts de la nature déchue et livrée à elle-même. Aussi, est-elle justement punie, dans la folie de son orgueil et l’abaissement de sa folie, par le siècle qu’elle a flatté pour en obtenir l’asphyxiante fumée d’une gloire éphémère et vaine !

Sans doute, la poésie embrasse tout ; mais elle embrasse tout, sans oublier Dieu, en rapportant tout à Dieu, comme à la cause première et la fin dernière de tout ; — et alors la nature, l’homme et l’humanité se révèlent dans leurs relations intimes, à leurs degrés divers, comme une ravissante synthèse, une épopée divine et universelle. La nature matérielle, l’homme, l’ange, Dieu, l’Église, l’unité dans la catholicité, voilà le sujet, un et multiple, un et infiniment varié, de tous les chants, de toutes les hymnes, qui ne doivent commencer sur la terre que pour continuer dans le ciel, qui ne doivent retentir dans le temps que pour avoir des échos angéliques dans l’éternité ! Le vrai poëte doit chanter ici-bas,

Como si canta in Cielo.

La poésie, c’est le langage de la raison inspirée ; c’est le langage