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D’avoir un double cœur tremblant entre deux maîtres,
Et de sembler enfin dénaturés ou traîtres ! —
Ô vous tous, exilés des cieux les plus ingrats,
Qui regrettez ici le deuil de vos climats ;
Enfants aux blonds cheveux d’origine Allemande ;
Ô vous, fils de la France, essaims nombreux d’Irlande ;
Tous, soldats émigrés de tous les vieux pays :
Aux Armes ! pour frapper vos frères ennemis !
Car vous avez juré de défendre la terre,
Qui reçut dans son sein votre infortune amère ;
Vous avez adopté pour patrie à jamais,
Le sol Américain où vos enfants sont nés ;
Vous avez dans ce sol, vierge encor de ruines,
Jeté de votre cœur les plus tendres racines ;
Oui, vous avez ici vos plus chers intérêts ;
Vous tenez à nos lois, comme l’arbre aux forêts ! —
Aux Armes ! pour chasser les hordes étrangères ;
Pour chasser vos amis, vos parents et vos frères !
Reculer, c’est trahir un peuple hospitalier ;
C’est mériter la mort, au lieu de la donner ! —
Aux Armes !… Mais d’où vient que votre cœur s’agite,
Qu’il se trouble et s’émeut, qu’il tremble et qu’il hésite,
Et qu’au lieu de combattre, il se sent combattu ?
C’est qu’en scindant le cœur, il perd toute vertu :
L’homme ne peut changer de mère ou de patrie ;
La terre du berceau, c’est la terre chérie ;
Et le serment lui-même au cœur impose en vain
Des devoirs plus sacrés envers un sol lointain !
Pour qu’au nom de patrie avec orgueil il vibre,
Sur le sol étranger, le cœur doit rester libre ;
Semblable en son exil à l’oiseau passager,
Il doit rester partout et toujours étranger !
Un acte despotique, une infortune amère,
Peut bannir notre cœur sur un autre hémisphère ;
Mais le cœur exilé, le cœur expatrié,
Par un fatal serment ne peut être lié !
Se tournant tout entier vers le pays qu’il aime,
Dans ses destins changeants, il doit rester le même ;
Le même, dans le deuil, la joie et les dangers ;
Oui, toujours étranger parmi les étrangers !


septième barde.


Les grands fleuves profonds s’écoulant en silence,
Arrosent de leurs bords la sauvage abondance ;
Ils vont s’élargissant, et grossissant leurs eaux
Des tributs écumants de vingt mille ruisseaux :
Ainsi la Vérité, fleuve immense et céleste,
Rejetant de ses eaux chaque élément funeste.