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ému de la lecture d’Atala, doit s’attendre, à son arrivée à la Louisiane, à de cruelles déceptions. Plus de flamans rouges, plus de jeunes crocodiles qui s’embarquent passagers sur des vaisseaux de fleurs, plus de gazons rougis par les fraises ! La nature semble s’être entièrement renouvelée sur ces rivages que le génie a immortalisés. MM. Théodore Pavie et Beltrami ont donné du Mississipi des descriptions moins pittoresques, sans doute, mais beaucoup plus exactes.

Le voyageur, surtout s’il est jeune encore et avide de poétiques émotions, ne pourra se défendre, en voyant, pour la première fois, le vieux père des fleuves, d’un sentiment d’indicible tristesse. Tout ce qui frappe le regard de l’homme à l’embouchure du Mississipi, est empreint d’une austère et sauvage mélancolie. La nature y semble muette, inanimée ; un morne silence pèse sur ces vastes solitudes. On n’y entend que le cri monotone des goëlands de mer qui voltigent autour d’informes débris d’arbres flottans. Rien n’y rappelle, le mouvement ni la vie, si ce n’est quelques hérons solitaires dont la forme blanche se dessine au loin sur l’immense nudité des marécages, ou bien de noirs carrions-crows qui rasent de leur aile sonore les mobiles roseaux des savanes. Mais quel bruit retentit soudain dans ces profonds et vastes déserts ? D’où vient cette voix inconnue ? ce mystérieux écho ? Est-ce une de ces mélopées inouies de la création qui font que le crédule Indien s’agenouille, et que le poëte s’émeut et tressaille ?… Non !… C’est la voix d’un de ces géans des eaux, d’un de ces larges bateaux que la vapeur anime de sa puissance ; c’est un volcan fumeux qui éclaire au loin l’horizon de longues traî-