Page:Rousseau - Œuvres complètes (éd. Dupont), tome 2, Discours, 1824.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme l’aliment d’une curiosité vaine, et le sujet d’une ostentation frivole. Voilà tout ce que vous devez et tout ce qu’elles doivent à l’opinion publique, qui peut les condamner à paraître ignorantes, mais non pas les forcer à l’être. On vous a vus si souvent, pour des motifs très-légers, par vanité ou par humeur, heurter de front les idées de votre siècle ; pour quel intérêt plus grand pouvez-vous le braver, que pour l’avantage de ce que vous devez avoir de plus cher au monde, pour rendre la vie moins amère à ceux qui la tiennent de vous, et que la nature a destiné à vous survivre et à souffrir ; pour leur procurer dans l’infortune, dans les maladies, dans la pauvreté, dans la vieillesse, des ressources dont notre injustice les a privées ? On regarde communément, monsieur, les femmes comme très-sensibles et très-faibles ; je les crois au contraire ou moins sensibles ou moins faibles que nous. Sans force de corps, sans talents, sans étude qui puisse les arracher à leurs peines, et les leur faire oublier quelques moments, elles les supportent néanmoins, elles les dévorent et savent quelquefois les cacher mieux que nous ; cette fermeté suppose en elles, ou une ame peu susceptible d’impressions profondes, ou un courage dont nous n’avons pas l’idée. Combien de situations cruelles auxquelles les hommes ne résistent que par le tourbillon d’occupation qui les entraîne ! Les chagrins des femmes seraient-ils moins pénétrants et moins vifs que les nôtres ? Ils ne le devraient pas l’être. Leurs peines viennent ordinairement du