Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/416

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fruit que j’avois retiré de mes méditations précédentes.

Il est vrai qu’au milieu des outrages sans nombre & des indignités sans mesure dont je me sentois accablé de toutes parts, des intervalles d’inquiétude & de doutes venoient de tems à autre ébranler mon espérance & troubler ma tranquillité. Les puissantes objections que je n’avois pu résoudre se présentoient alors à mon esprit avec plus de force, pour achever de m’abattre précisément dans les momens, où surchargé du poids de ma destinée, j’étois prêt à tomber dans le découragement. Souvent des argumens nouveaux que j’entendois faire me revenoient dans l’esprit à l’appui de ceux qui m’avoient déjà tourmenté. Ah ! me disois-je alors dans des serremens de cœur prêts à m’étouffer, qui me garantira du désespoir si dans l’horreur de mon sort je ne vois plus que des chimeres dans les consolations que me fournissoit ma raison ? si, détruisant ainsi son propre ouvrage, elle renverse tout l’appui d’espérance & de confiance qu’elle m’avoit ménagé dans l’adversité. Quel appui que des illusions qui ne bercent que moi seul au monde ? Toute la génération présente ne voit qu’erreurs & préjugés dans les sentimens dont je me nourris seul ; elle trouve la vérité, l’évidence dans le systême contraire au mien ; elle semble même ne pouvoir croire que je l’adopte de bonne foi, & moi-même en m’y livrant de toute ma volonté, j’y trouve des difficultés insurmontables qu’il m’est impossible de résoudre & qui ne m’empêchent pas d’y persister. Suis-je donc seul sage, seul éclairé parmi les mortels ? Pour croire que les choses sont ainsi suffit-il qu’elles me conviennent ? Puis-je prendre une