Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/426

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d’utilité possible il ne peut y avoir de propriété. On peut réclamer un terrain quoique stérile, parce qu’on peut au moins habiter sur le sol : mais qu’un fait oiseux, indifférent à tous égards, & sans conséquence pour personne soit vrai ou faux, cela n’intéresse qui que ce soit. Dans l’ordre moral rien n’est inutile, non plus que dans l’ordre physique. Rien ne peut être dû de ce qui n’est bon à rien ; pour qu’une chose soit due il faut qu’elle soit, ou puisse être utile. Ainsi la vérité due est celle qui intéresse la justice, & c’est profaner ce nom sacré de vérité que de l’appliquer aux choses vaines dont l’existence est indifférente à tous, & dont la connoissance est inutile à tout. La vérité dépouillée de toute espece d’utilité même possible, ne peut donc pas être une chose due, & par conséquent celui qui la tait ou la déguise, ne ment point.

Mais est-il de ces vérités si parfaitement stériles qu’elles soient de tout point inutiles à tout ? c’est un autre article à discuter & auquel je reviendrai tout-à-l’heure. Quant à présent passons à la seconde question.

Ne pas dire ce qui est vrai, & dire ce qui est faux sont deux choses très-différentes ; mais dont peut néanmoins résulter le même effet ; car ce résultat est assurément bien le même toutes les fois que cet effet est nul. Par-tout où la vérité est indifférente, l’erreur contraire est indifférente aussi ; d’où il suit qu’en pareil cas celui qui trompe en disant le contraire de la vérité n’est pas plus injuste que celui qui trompe en ne la déclarant pas ; car en fait de vérités inutiles, l’erreur n’a rien de pire que ignorance. Que je croye le sable qui est au fond de la mer blanc ou rouge, cela ne m’importe