Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/430

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débite avec affirmation comme des vérités réelles, on ne peut gueres disconvenir qu’elles ne soient de vrais mensonges. Cependant, qui jamais s’est fait un grand scrupule de ces mensonges-là, & qui jamais en a fait un reproche grave à ceux qui les font ? S’il y a par exemple quelque objet moral dans le Temple de Gnide, cet objet est bien offusqué & gâté par les détails voluptueux & par les images lascives. Qu’a fait l’Auteur pour couvrir cela d’un vernis de modestie ? Il a feint que son ouvrage étoit la traduction d’un manuscrit Grec, & il a fait l’histoire de la découverte de ce manuscrit de la façon la plus propre à persuader ses lecteurs de la vérité de son récit. Si ce n’est pas là un mensonge bien positif, qu’on me dise donc ce que c’est que mentir ? Cependant qui est-ce qui s’est avisé de faire à l’Auteur un crime de ce mensonge, & de le traiter pour cela d’imposteur ?

On dira vainement que ce n’est-là qu’une plaisanterie, que l’Auteur tout en affirmant ne vouloit persuader personne, qu’il n’a persuadé personne en effet, & que le public n’a pas douté un moment qu’il ne fût lui-même l’Auteur de l’ouvrage prétendu Grec dont il se donnoit pour le traducteur. Je répondrai qu’une pareille plaisanterie sans aucun objet n’eût été qu’un bien sot enfantillage, qu’un menteur ne ment pas moins quand il affirme quoiqu’il ne persuade pas, qu’il faut détacher du public instruit des multitudes de lecteurs simples & crédules à qui l’histoire du manuscrit narrée par un Auteur grave avec un air de bonne-foi en a réellement imposé, & qui ont bu sans crainte dans une coupe de forme antique, le poison dont ils se seroient au moins défiés s’il leur eût été présenté dans un vase moderne.