Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/439

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Que si quelquefois sans y songer, par un mouvement involontaire, j’ai caché le côte difforme en me peignant de profil, ces réticences ont bien été compensées par d’autres réticences plus bizarres qui m’ont souvent fait taire le bien plus soigneusement que le mal. Ceci est une singularité de ma nature qu’il est fort pardonnable aux hommes de ne pas croire, mais qui, tout incroyable qu’elle est n’en est pas moins réelle : j’ai souvent dit le mal dans toute sa turpitude, j’ai rarement dit le bien dans tout ce qu’il eut d’aimable, & souvent je l’ai tu tout à fait parce qu’il m’honoroit trop, & qu’en faisant mes Confessions j’aurois l’air d’avoir fait mon éloge. J’ai décrit mes jeunes ans sans me vanter des heureuses qualités dont mon cœur étoit doué & même en supprimant les faits qui les mettoient trop en évidence. Je m’en rappelle ici deux de ma premiere enfance, qui tous deux sont bien venus à mon souvenir en écrivant, mais que j’ai rejetés l’un & l’autre par l’unique raison dont je viens de parler.

J’allois presque tous les dimanches passer la journée aux Pâques chez M. Fazy, qui avoit épousé une de mes tantes & qui avoit là une fabrique d’indiennes. Un jour j’étois à l’étendage dans la chambre de la calandre & j’en regardais les rouleaux de fonte : leur luisant flattoit ma vue, je fus tenté d’y poser mes doigts & je les promenois avec plaisir sur le lissé du cylindre, quand le jeune Fazy s’étant mis dans la roue lui donna un demi-quart de tour si adroitement qu’il n’y prit que le bout de mes deux plus longs doigts ; mais c’en fut assez pour qu’ils y fussent écrasés par le bout & que les deux ongles y restassent. Je fis un cri perçant, Fazy détourne à