Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/125

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Que la singularité des cas que je viens de citer les rende uniques chacun dans son espece, qu’on les dispute,qu’on les nie enfin si l’on veut, combien d’autres cas non moins imprévus non moins possibles peuvent être aussi singuliers dans la leur ? Où est celui qui fait eût déterminer avec certitude tous les cas où les hommes, abuses par de fausses apparences, peuvent prendre l’imposture pour l’évidence, & l’erreur pour la vérité ? Quel est l’audacieux qui, lorsqu’il s’agit de juger capitalement un homme, passe en avant & le condamne sans avoir pris toutes les précautions possibles pour se garantir des piégés du mensonge & des illusions de l’erreur ? Quel est le juge barbare qui, refusant à l’accuse la déclaration de son crime, le dépouillé du droit sacré d’être entendu dans sa défense, droit qui, loin de le garantir d’être convaincu si l’évidence est telle qu’on la suppose, très-souvent ne suffit pas même pour empêcher le juge de voir cette évidence dans l’imposture & de verser le sang innocent, même après avoir entendu l’accuse. Osez-vous croire que les tribunaux abondent en précautions superflues pour la sûreté de l’innocence ? Eh qui ne sait, au contraire, que loin de s’y soucier de savoir si un accule est innocent & de chercher à le trouver tel, on ne s’y occupe au contraire qu’à tacher de le trouver coupable à tout prix, & qu’à lui ôter pour sa défense tous les moyens qui ne lui sont pas formellement accordes par la loi, tellement que si, dans quelque cas singulier il se trouvé une circonstance essentielle qu’elle n’ait pas prévue, c’est au prévenu d’expier, quoiqu’innocent, cet oubli par son supplice ? Ignorez-vous que ce qui flatte le plus les juges est d’avoir des victimes à tourmenter,