Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/131

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que, différent de ce qu’il parut alors parce que l’illusion s’est dissipée, il est le même qu’il fut toujours.

Rousseau.

Voila de quoi je ne doute. Mais qu’autrefois on fut dans l’erreur sûr son compte & qu’on n’y soit aujourd’hui, c’est ce qui ne me paroit pas aussi clair qu’à vous. Il est plus difficile que vous ne semblez le croire de voir exactement tel qu’il est un homme dont on a d’avance une opinion décidée soit en bien soit en mal. On applique à tout ce qu’il fait a tout ce qu’il dit l’idée qu’on s’est formée de lui. Chacun voit & admet tout ce qui confirme son jugement rejette ou explique à sa mode tout ce qui le contraire. Tous ses mouvemens ses regards ses gestes sont interprètes selon cette idée : on y rapporte ce qui s’y rapporte le moins. Les mêmes choses que mille autres disent ou sont & qu’on dit ou fait soi-même indifféremment prennent un sens mystérieux des qu’elles viennent de lui. On veut deviner, on veut être pénétrant ; c’est le jeu naturel de l’amour-propre : on voit ce qu’on croit & non pas ce qu’on voit. On explique tout selon le préjugé qu’on a, & l’on ne se console de l’erreur ou l’on pense avoir été qu’en se persuadent que c’est faute d’attention non de pénétration qu’on y est tombe. Tout cela est si vrai que si deux hommes ont d’un troisieme des opposées, cette même opposition régnera dans les observations qu’ils seront sûr lui. L’un verra blanc & l’autre noir ; l’un trouvera des vertus l’autre des vices dans les actes les plus indifferens qui viendront de lui, & chacun, forcé d’interprétations subtiles