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DE L'ÉDITEUR

j’aye voulu paroître m’en charger un seul instant. Au reste, l’ouvrage est assez fortement frappé pour pouvoir se passer de commentaire. Les gens sensibles & vertueux, les habitans du monde idéal, reconnoîtront à l’instant leur

    meurtre près, j’aimerois mieux avoir fait ce dont son Auteur m’accuse, que d’en avoir écrit un pareil. »

    L’autre se trouve dans une espece de Vie de Séneque, imprimée à Paris depuis la mort de M. Rousseau ; dans laquelle l’Auteur anonyme, avec un zele digne de son école, sous prétexte de défendre la mémoire d’un homme mort depuis 1500 ans, se permet de noircir impitoyablement celle d’un contemporain. Cet écrivain parle d’un Suilius, qu’il qualifie de Délateur par état ; puis il ajoute cette note.

    « Si par une bizarrerie qui n’est pas sans exemple, il paroissoit jamais un ouvrage ou d’honnêtes gens fussent impitoyablement déchirés par un artificieux scélérat, qui pour donner quelque vraisemblance à ses injustes & cruelles imputations, se peindroit lui-même de couleurs odieuses, anticipez sur le moment, & demandez-vous à vous même : si un impudent, un Cardan, qui s’avoueroit coupable de mille méchancetés, seroit un garant bien digne de soi ; ce que la calomnie auroit dû lui coûter, & ce qu’un forfait de plus ou de moins ajouteroit à la turpitude secrète d’une vie cachée pendant plus de cinquante ans sous le masque le plus épais de l’hypocrisie. Jettez loin de vous son infâme libelle, & craignez que, séduit par une éloquence perfide, & entraîné par les exclamations aussi puériles qu’insensées de ses enthousiastes, vous ne finissiez par devenir ses complices. Détestez l’ingrat qui dit du mal de ses bienfaiteurs ; détestez l’homme atroce qui ne balance pas à noircir ses anciens amis ; détestez le lâche qui laisse sur sa tombe la révélation des secrets qui lui ont été confiés, ou qu’il a surpris de son vivant. Pour moi, je jure que mes yeux ne seroient jamais souillés de la lecture de son ouvrage ; je proteste que je préférerois ses invectives à son éloge. »

    Essai sur la vie de Séneque, p. 128.

    Qui peut lire ces deux passages, écrits à la distance de seize ans l’un de l’autre, dont tout l’intervalle a été rempli de pareilles horreurs, sans féliciter leur objet infortuné, d’avoir enfin trouvé le seul asyle où il sera également à l’abri de la rage, du fanatisme & des traits empoisonnés de l’envie !