Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/167

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ne refuse pas de l’entendre, on ne l’empêche pas de parler, on ne lui cache pas qu’il est accuse, & on ne le juge qu’après l’avoir entendu. L’Inquisition veut bien que l’accuse se défende s’il peut, mais ici l’on ne veut pas qu’il le puisse.

Cette explication qui dérive des faits que vous m’avez exposes vous-même doit vous faire sentir comment le public sans être dépourvu de bon sens, mais séduit par mille prestiges peut tomber dans une erreur involontaire & presque excusable, à l’égard d’un homme auquel il prend dans le fond très-peu d’intérêt, dont la singularité révolte son amour-propre, & qu’il désire généralement de trouver coupable plutôt qu’innocent, & comment aussi avec un intérêt plus sincere à ce même homme & plus de soin à l’étudier soi-même, on pourroit le voir autrement que ne fait tout le monde, sans être oblige d’en conclure que le public est dans le délire ou qu’un est trompé par ses propres yeux. Quand le pauvre Lazarille de Tormes attache dans le fond d’une cuve, la tête seule hors de l’eau couronnée de roseaux & d’algue, étoit promene de ville en ville comme un monstre marin, les spectateurs extravaguoient-ils de le prendre pour tel, ignorant qu’on l’empêchoit de parler, & que s’il vouloit crier qu’il n’étoit pas un monstre marin, une corde tirée en cachette le forçoit de faire à l’instant le plongeon ? Supposons qu’un d’entr’eux plus attentif appercevant cette manœuvre & par-la devinant le reste, leur eût crie, l’on vous trompé, ce prétendu monstre est un homme, n’y eût-il pas eu plus que de l’humeur a s’offenser de cette exclamation, comme d’un reproche qu’ils étoient tous des insensés ? Le public, qui ne voit des choses que l’apparence, trompé