Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/216

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qui nous surpasse, tout ce qui nous rabaisse, tout ce qui nous comprime, tout ce qui étant quelque chose nous empêche d’être tout. L’amour-propre est toujours irrite ou mécontent, parce qu’il voudroit que chacun nous préférât à tout & à lui-même, ce qui ne se peut : il s’irrite des préférences qu’il sent que d’autres méritent, quand même ils ne les obtiendroient pas : il s’irrite des avantages qu’un autre à sur nous, sans s’appaiser par ceux dont il se sent dédommage. Le sentiment de l’infériorité à un seul égard empoisonne alors celui de la supériorité à mille autres, & l’on oublie ce qu’on a de plus pour s’occuper uniquement de ce qu’on a de moins. Vous sentez qu’il n’y a pas à tout cela de quoi disposer l’ame à la bienveillance.

Si vous me demandez d’ou naît cette disposition à se comparer, qui change une passion naturelle & bonne en une autre passion factice & mauvaise ; je vous répondrai qu’elle des relations sociales, du progrès des idées, & de la culte de l’esprit. Tant qu’occupe des seuls besoins absolus on se borne à rechercher ce qui nous est vraiment utile, on ne jette gueres sur d’autres un regard oiseux. Mais à mesure que la société se resserre par le lien des besoins mutuels, à mesure que l’esprit s’étend s’exerce & s’éclaire, il prend plus d’activité, il embrasse plus d’objets, saisit plus de rapports, examine compare ; dans ces fréquentes comparaisons il n’oublie ni lui-même ni ses semblables ni la place à laquelle il prétend parmi eux. Des qu’on a commence de se mesurer ainsi l’on ne cesse plus, & le cœur ne sait plus s’occuper désormais qu’à mettre tout le monde au-dessous de nous. Aussi remarque-t-on