Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/229

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quelque sujet de peine, ils gardent toujours quelque souvenir attristant ; & quand ensuite ils médite dans la solitude sur ce qui les à le plus affectes, leurs cœurs ulcérés remplissent leur imagination de mille objets funestes. Les concurrences les préférences les jalousies les rivalités, les offenses les vengeances les mécontentemens de toute espece, l’ambition les desirs les projets les moyens les obstacles remplissent de pensées inquiétantes les heures de leurs courts loisirs ; & si quelque image agréable ose y paroître avec l’espérance, elle en est effacée ou obscurcie par cent images pénibles que le doute du succès vient bientôt y substituer.

Mais celui qui, franchissant l’étroite prison de l’intérêt personnel & des petites passions terrestres, s’être sur les ailes de l’imagination au-dessus des vapeurs de notre atmosphère, lui qui sans épuiser sa force & ses facultés à lutter contre fortune & la destinée sait s’élancer dans les régions éthérés, y planer & s’y soutenir par de sublimes contemplations, peut de-la braver les coups du sort & des insensés jugemens des hommes. Il est au-dessus de leurs atteintes, il n’a pas besoin de leur suffrage pour être sage ni de leur faveur pour être heureux. Enfin tel est en nous l’empire de l’imagination & telle en est influence, que d’elle naissent non- seulement les vertus & les vices, mais les biens & les maux de la vie humaine, & que c’est principalement la maniere dont on s’y livre qui rend les hommes bons ou mechans, heureux ou malheureux ici-bas.

Un cœur actif & un naturel paresseux doivent inspirer le goût de la rêverie. Ce goût perce & devient une passion très-vive, pour par peu qu’il soit seconde par l’imagination. C’est ce