Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/324

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des soupçons si légitimes, l’ont- ils fait entrer si aisément si pleinement dans toutes leurs vues, jusqu’a le rendre aussi ardent qu’eux-mêmes à les remplir ? Voilà ce qui n’est pas facile à comprendre & à expliquer.

Leurs marches souterraines sont trop ténébreuses pour qu’il soit possible de les y suivre. Je crois seulement appercevoir, d’espace en espace, au-dessus de ces gouffres, quelques soupiraux qui peuvent en indiquer les détours. Vous m’avez décrit vous-même dans notre premier entretien plusieurs de ces manœuvres que vous supposiez légitimes, comme ayant pour objet de démasquer un méchant ; destinées au contraire à faire paroître tel, un homme qui n’est rien moins, elles auront également leur effet. Il sera nécessairement hai soit qu’il mérite ou non de l’être, parce qu’on aura pris des mesures certaines pour parvenir à le rendre odieux. Jusques-là ceci se comprend encore ; mais ici l’effet va plus loin : il ne s’agit pas seulement de haine, il s’agit d’animosité ; il s’agit d’un concours très-actif de tous à l’exécution du projet concerte par un petit nombre, qui seul doit y prendre assez d’intérêt pour agir aussi vivement.

L’idée de la méchanceté est effrayante par elle-même. L’impression naturelle qu’on reçoit d’un méchant dont on n’a pas personnellement à se plaindre, est de le craindre & de le fuir. Content de n’être pas sa victime, personne ne s’avise de vouloir être son bourreau. Un méchant en place, qui peut & veut faire beaucoup de mal, peut exciter l’animosité par la crainte, & le mal qu’on en redoute peut inspirer des efforts pour le prévenir ; mais l’impuissance jointe à la méchanceté ne peut produire que le mépris & l’éloignement ; un méchant