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À M. DE VOLTAIRE.

ment réguliere, que nul être connu n’eſt d’une figure préciſément mathématique, que nulle quantité préciſe n’eſt requiſe pour nulle opération, que la nature n’agit jamais rigoureuſement. Qu’ainſi on n’a aucune raison d’aſſurer qu’un atôme de moins ſur la terre ſeroit la cause de la deſtruction de la terre. Je vous avoue que ſur tout cela, Monſieur, je ſuis plus frappé de la force de l’aſſertion que de celle du raiſonnement, & qu’en cette occaſion je céderois avec plus de confiance à votre autorité qu’à vos preuves.

À l’égard de M. de Crouzas, je n’ai point lu ſon écrit contre Pope & ne ſuis peut-être pas en état de l’entendre ; mais ce qu’il y a de très-certain, c’eſt que je ne lui céderai pas ce que je vous aurai disputé, & que j’ai tout auſſi peu de foi à ſes preuves qu’à ſon autorité. Loin de penser que la nature ne ſoit point aſſervie à la préciſion des quantités & des figures, je croirois tout au contraire qu’elle ſeule ſuit à la rigueur cette préciſion, parce qu’elle ſeule ſait comparer exactement les fins & les moyens & meſurer la force à la réſistance. Quant à ces irrégularités prétendues, peut-on douter qu’elles n’aient toutes leur cause phyſique, & ſuffit-il de ne la pas appercevoir pour nier qu’elle exiſte. Ces apparentes irrégularités viennent ſans doute de quelques loix que nous ignorons & que la nature ſuit tout auſſi fidellement que celles qui nous ſont connues ; de quelque agent que nous n’appercevons pas & dont l’obſtacle ou le concours a des meſures fixes dans toutes ſes opérations, autrement il faudroit dire nettement qu’il y a des actions ſans principes & des effets ſans cauſe, ce qui répugne à toute philoſophie.