Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/119

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sert de base. Je pense qu’ils ne le doivent pas encore par une autre raison, c’est qu’il y a de l’inhumanité à troubler des ames paisibles & à désoler les hommes à pure perte, quand ce qu’on veut leur apprendre n’est ni certain ni utile. Je pense en un mot, qu’à votre exemple on ne sauroit attaquer trop fortement la superstition qui trouble la société, ni trop respecter la religion qui la soutient.

Mais je suis indigné comme vous que la foi de chacun ne soit pas dans la plus parfaite liberté, & que l’homme ose contrôler l’intérieur des consciences où il ne sauroit pénétrer, comme s’il dépendoit de nous de croire ou de ne pas croire dans des matieres où la démonstration n’a point lieu, & qu’on pût jamais asservir la raison à l’autorité. Les Rois de ce monde ont-ils donc quelque inspection dans l’autre, & sont-ils en droit de tourmenter leurs sujets ici-bas pour les forcer d’aller en paradis ? Non, tout Gouvernement humain se borne par sa nature aux devoirs civils, & quoi qu’en ait pu dire le sophiste Hobbes, quand un homme sert bien l’État, il ne doit compte à personne de la maniere dont il sert Dieu.

J’ignore si cet Être juste ne punira point un jour toute tyrannie exercée en son nom ; je suis bien sûr au moins qu’il ne la partagera pas, & ne refusera le bonheur éternel à nul incrédule vertueux & de bonne foi. Puis-je sans offenser sa bonté & même sa justice douter qu’un cœur droit ne rachete une erreur involontaire, & que des mœurs irréprochables ne vaillent bien mille cultes bizarres prescrits par les hommes & rejettés par la raison ? Je dirai plus ; si je pouvois à mon choix acheter les œuvres au dépend de ma foi, & compenser à force