Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/132

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naturelle contre les sophismes de ma raison. Je crains même qu’en cette occasion vous ne confondiez les penchans secrets de notre cœur qui nous égarent, avec ce dictamen plus secret, plus interne encore, qui réclame & murmure contre ces décisions intéressées, & nous ramene en dépit de nous sur la route de la vérité. Ce sentiment intérieur est celui de la nature elle-même ; c’est un appel de sa part contre les sophismes de la raison, & ce qui le prouve est qu’il ne parle jamais plus fort que quand notre volonté cede avec le plus de complaisance aux jugemens qu’il s’obstine à rejetter. Loin de croire que qui juge d’après lui soit sujet à se tromper, je crois que jamais il ne nous trompe, & qu’il est la lumiere de notre foible entendement, lorsque nous voulons aller plus loin que ce que nous pouvons concevoir.

Et après tout, combien de fois la philosophie elle-même avec toute sa fierté, n’est-elle pas forcée de recourir à jugement interne qu’elle affecte de mépriser ? N’étoit-ce pas lui seul qui faisoit marcher Diogene pour toute réponse devant Zénon qui nioit le mouvement ? N’étoit -ce pas par lui que toute l’antiquité philosophique répondoit aux pyrrhoniens ? N’allons pas si loin : tandis que toute la philosophie moderne rejette les esprits tout d’un coup l’Evêque Berkley s’éleve & soutient qu’il n’y a point de corps. Comment est-on venu à bout de répondre à ce terrible logicien ? Otez le sentiment intérieur, & je défie tous les philosophes modernes ensemble de prouver à Berkley qu’il y a des corps. Bon jeune homme qui me paroissez si bien né ; de la bonne foi, je vous en conjure, & permettez que je vous cite