Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/135

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cette difficulté si terrible ne m’a jamais beaucoup frappé ; soit que je ne l’aye pas bien conçue, soit qu’en effet elle n’ait pas toute la solidité qu’elle paroît avoir. Nos philosophes se sont élevés contre les entités métaphysiques, & je ne connois personne qui en fasse tant. Qu’entendent-ils par le mal ? qu’est-ce que le mal en lui- même ? où est le mal, relativement à la nature & à son Auteur ? L’univers subsiste, l’ordre y regne & s’y conserve ; tout y périt successivement, parce que telle est la loi des êtres matériels & mus ; mais tout s’y renouvelle & rien n’y dégénere ; parce que tel est l’ordre de son Auteur, & cet ordre ne se dément point. Je ne vois aucun mal à tout cela. Mais quand je souffre, n’est-ce pas un mal ? Quand je meurs, n’est-ce pas un mal ? Doucement : je suis sujet à la mort, parce que j’ai reçu la vie. Il n’y avoir pour moi qu’un moyen de ne point mourir ; c’étoit de ne jamais naître. La vie est un bien positif, mais fini, dont le terme s’appelle mort. Le terme du positif n’est pas le négatif, il est zéro. La mort nous est terrible, & nous appellons cette terreur un mal. La douleur est encore un mal pour celui qui souffre, j’en conviens. Mais la douleur & le plaisir étoient les seuls moyens d’attacher un être sensible & périssable à sa propre conservation, & ces moyens sont ménagés avec une bonté digne de l’Etre suprême. Au moment même que j’écris ceci, je viens encore d’éprouver combien la cessation subite d’une douleur aiguë est un plaisir vif & délicieux. M’oseroit-on dire que la cessation du plaisir le plus vis soit une douleur aigue ? La douce jouissance de la vie est permanente ; il suffit pour la goûter de ne pas souffrir. La douleur n’est qu’un avertissement, importun,