Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/190

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à pardonner, & l’on n’y met gueres la sévérité qu’à la place du sentiment. Ainsi je crois pouvoir compter sur votre indulgence.

Vous voilà donc, Messieurs, devenus Auteurs périodiques. Je vous avoue que ce projet ne me rit pas autant qu’a vous : j’ai du regret de voir des hommes faits pour élever des monumens, se contenter de porter des matériaux, & d’architectes se faire manœuvres. Qu’est-ce qu’un livre périodique ? Un ouvrage éphémère, sans mérite & sans utilité, dont la lecture négligée & méprisée par des gens de Lettres, ne sert qu’à donner aux femmes & aux sots de la vanité sans instruction, & dont le sort, après avoir brillé le matin sur la toilette, est de mourir le soir dans la garderobe. D’ailleurs, pouvez-vous vous résoudre à prendre des pièces dans les journaux & jusques dans le Mercure, & à compiler des compilations ? S’il n’est pas impossible qu’il s’y trouve quelque bon morceau, il est impossible que pour le déterrer, vous n’ayez le dégoût d’en lire toujours une multitude de détestables. La philosophie du cœur coûtera cher à l’esprit, s’il faut le remplir de tous ces fatras. Enfin, quand vous auriez assez de zele pour soutenir l’ennui de toutes ces lectures, qui vous répondra que votre choix sera fait comme il doit l’être, que l’attrait de vos vues particulières ne l’emportera pas souvent sur l’utilité publique, ou que si vous ne songez qu’à cette utilité l’agrément n’en souffrira point ? Vous n’ignorez pas qu’un bon choix littéraire est le fruit du goût le plus exquis, & qu’avec tout l’esprit & toutes les connoissances imaginables, le goût ne peut assez se perfectionner dans une petite ville, pour y acquérir