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LETTRE DE M. DE VOLTAIRE.*

[*L’Auteur de cette lettre la fit imprimer un peu changée & augmentée. La voici telle qu’il me l’écrivit.]

Aux Délices près de Geneve 1755.

J’ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre-humain ; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités, & vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine, dont notre ignorance & notre foiblesse se promettent tant de douceurs. On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes : il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant comme il y a plus de soixante ans que j’en ai perdu l’habitude, je sens malheureusement qu’il m’est impossible de la reprendre, & je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous & moi. Je ne peux non plus m’embarquer pour aller trouver, les Sauvages du Canada, premièrement parce que les maladies auxquelles je suis condamné me rendent un médecin d’Europe nécessaire ; secondement, parce que la guerre est portée dans ce pays-là ; & que les exemples de nos nations ont rendu les Sauvages presque aussi méchans que nous. Je me borne à être, un sauvage paisible dans la solitude que j’ai choisie auprès de votre patrie où vous devriez être.