Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/218

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dit que l’Iliade avoir été formée par un jet fortuit de caracteres, je leur aurais dit, très-résolument ; cela peut être mais cela n’est pas vrai ; & je n’ai point d’autre raison pour n’en rien croire si ce n’est que je n’en crois rien. Préjugé que cela ! disent-ils. Soit ; mais que peut faire cette raison si vague, contre un préjugé plus persuasif qu’elle ? Autre argumentation sans fin contre la distinction des deux substances ; autre persuasion de ma part qu’il n’y a rien de commun entre un arbre & ma pensée ; & ce qui m’a paru plaisant en ceci, c’est de les voir s’acculer eux-mêmes par leurs propres sophismes, au point d’aimer mieux donner le sentiment aux pierres que d’accorder une ame à l’homme.

Mon ami, je crois en Dieu, & Dieu ne seroit pas juste si mon ame n’étoit immortelle. Voilà, ce me semble, ce que la Religion a d’essentiel & d’utile ; laissons le reste aux disputeurs. À l’égard de l’éternité des peines, elle ne s’accorde ni avec la foiblesse de l’homme, ni avec la justice de Dieu. Il est vrai qu’il y a des ames si noires que je ne puis concevoir qu’elles puissent jamais goûter cette éternelle beatitude, dont il me semble que le plus doux sentiment doit être le contentement de soi-même. Cela me fait soupçonner, qu’il se pourroit bien que les ames des méchans fussent anéanties à leur mort, & qu’être & sentir fût le premier prix d’une bonne vie. Quoi qu’il en soit, que m’importe ce que seront les méchans ; il me suffit qu’en approchant du terme de ma vie, je n’y voye point celui de mes espérances, & que j’en attende une plus heureuse après avoir tant souffert dans celle-ci. Quand je me tromperois dans cet espoir, il est