Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/262

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cueilde tous : mais si contre mon attente, je puis aller jusques-là & prendre une fois congé du public, croyez, Monsieur, qu’alors je serai libre, ou que jamais homme ne l’aura été. O utinam ! Ô jour trois fois heureux ! Non, il ne me sera pas donné de le voir.

Je n’ai pas tout dit, Monsieur, & vous aurez peut-être encore au moins une lettre à essuyer. Heureusement rien ne vous oblige de les lire, & peut-être y seriez-vous bien embarrassé. Mais pardonnez, de grace ; pour recopier ces longs fatras, il faudroit les refaire, & en vérité je n’en ai pas le courage. J’ai surement bien du plaisir à vous écrire, mais je n’en ai pas moins à me reposer, & mon état ne me permet pas d’écrire long-tems de suite.




TROISIEME LETTRE.


Montmorenci le 26 Janvier 1762.


Après vous avoir exposé, Monsieur, les vrais motifs de ma conduite, je voudrois vous parler de mon état moral dans ma retraite ; mais je sens qu’il est bien tard, mon ame aliénée d’elle-même est toute à mon corps. Le délabrement de ma pauvre machine l’y tient de jour en jour plus attachée, & jusqu’à ce qu’elle s’en sépare enfin tout-à-coup. C’est de mon bonheur que je voudrois vous parler, & l’on parle mal du bonheur quand on souffre.

Mes maux sont l’ouvrage de la nature, mais mon bonheur est le mien. Quoi qu’on en puisse dire, j’ai été sage, puisque