Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/268

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vois dans mon lit un repos de corps & d’ame, cent fois plus doux que le sommeil même.

Ce sont là les jours qui ont fait le vrai bonheur de ma vie, bonheur sans amertume, sans ennuis, sans regrets, & auquel j’aurois borné volontiers tout celui de mon existence. Oui, Monsieur, que pareils jours remplissent pour moi l’éternité, je n’en demande point d’autres, & n’imagine pas que je sois beaucoup moins heureux dans ces ravissantes contemplations, que les intelligences célestes. Mais un corps qui souffre, ôte à l’esprit sa liberté ; désormais je ne suis plus seul, j’ai un hôte qui m’importune, il faut m’en délivrer pour être à moi, & l’essai que j’ai fait de ces douces jouissances, ne sert plus qu’à me faire attendre avec moins d’effroi, le moment de les goûter sans distraction.

Mais me voici déjà à la fin de ma seconde feuille. Il m’en faudroit pourtant encore une. Encore une lettre donc, & puis plus. Pardon, Monsieur, quoique j’aime trop à parler de moi, je n’aime pas à en parler avec tout le monde, c’est ce qui me fait abuser de l’occasion quand je l’ai, & qu’elle me plaît. Voilà mon tort & mon excuse. Je vous prie de la prendre en gré.




QUATRIEME LETTRE.


28 Janvier 1762.


Je vous ai montré, Monsieur, dans le secret de mon cœur, les vrais motifs de ma retraite & de toute ma conduite ; motifs bien moins nobles sans doute que vous ne les avez supposés,