Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/270

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ma patrie, l’établissement pernicieux que pour faire sa cour à Voltaire à nos dépens, d’Alembert vouloit qu’on fît parmi nous. Si j’eusse vécu dans Geneve, je n’aurois pu, ni publier l’Épître dédicatoire du discours sur l’inégalité, ni parler même de l’établissement de la comédie, du ton que je l’ai fait. Je serois beaucoup plus inutile à mes Compatriotes, vivant au milieu d’eux, que je ne puis l’être dans l’occasion de ma retraite. Qu’importe en quel lieu j’habite, si j’agis où je dois agir ? D’ailleurs, les habitans de Montmorenci sont-ils moins hommes que les Parisiens, & quand je puis en dissuader quelqu’un d’envoyer son enfant se corrompre à la ville, fais-je moins de bien que si je pouvois de la ville le renvoyer au foyer paternel ? Mon indigence seule ne m’empêcheroit-elle pas d’être inutile de la maniere que tous ces beaux parleurs l’entendent ; & puisque je ne mange du pain qu’autant que j’en gagne, ne suis-je pas forcé de travailler pour ma subsistance, & de payer à la société tout le besoin que je puis avoir d’elle ? Il est vrai que je me suis refusé aux occupations qui ne m’étoient pas propres ; ne me sentant point le talent qui pouvoit me faire mériter le bien que vous m’avez voulu faire, l’accepter eût été le voler à quelque homme de lettres aussi indigent que moi, & plus capable de ce travail-là ; en me l’offrant vous supposiez que j’étois en état de faire un extrait, que je pouvois m’occuper de matieres qui m’étoient indifférentes, & cela n’étant pas, je vous aurois trompé, je me serois rendu indigne de vos bontés, en me conduisant autrement que je n’ai fait ; on n’est jamais excusable de faire mal ce qu’on fait volontairement : je serois maintenant mécontent de moi, & vous aussi ;