Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/305

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ils en ont souvent dans leur Ville, qui pour l’ordinaire y sont très-fêtés : un simple honnête homme avec des malheurs & des vertus ne le seroit pas de même ; on peut y porter un grand nom sans mérite, mais non pas un grand mérite sans nom. Du reste, ceux qu’ils servent, une fois ils les servent bien. Ils sont fidelles à leurs promesses, & n’abandonnent pas aisément leurs protégés. Il se peut même qu’ils soient aimons & sensibles : mais rien n’est plus éloigné du ton du sentiment que celui qu’ils prennent, tout ce qu’ils sont par humanité semble être fait par ostentation, & leur vanité cache leur bon cœur.

Cette vanité est leur vice dominant ; elle perce par-tout, & d’autant plus aisément qu’elle est mal-adroite. Ils se croient tous gentilshommes, quoique leurs Souverains ne fussent que des gentilshommes eux-mêmes. Ils aiment la chasse, moins par goût, que parce que c’est un amusement noble. Enfin jamais on ne vit des bourgeois si pleins de leur naissance : ils ne la vantent pourtant pas, mais on voit qu’ils s’en occupent ; ils n’en sont pas fiers, ils n’en sont qu’entêtés.

Au défaut de dignités & de titres de noblesse, ils ont des titres militaires ou municipaux en telle abondance, qu’il y a plus de gens titrés que de gens qui ne le sont pas. C’est Monsieur le Colonel, Monsieur le Major, Monsieur le Capitaine, Monsieur le Lieutenant, Monsieur le Conseiller, Monsieur le Châtelain, Monsieur le Maire, Monsieur le Justicier, Monsieur le Professeur, Monsieur le Docteur, Monsieur l’Ancien ; si j’avois pu reprendre ici mon ancien métier, je ne doute pas que je n’y fusse Monsieur le Copiste. Les femmes