Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/391

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Je ne fus jamais bien grand’chose ; maintenant je ne suis plus rien ; je me regarde comme ne vivant déjà plus. Ma pauvre machine délabrée me laissera jusqu’au bout, j’espere, une ame saine quant aux sentimens & à la volonté ; mais du côté de l’entendement & des idées, je suis aussi malade de l’esprit que du corps. Peut-être est-ce un avantage pour ma situation. Mes maux me rendent mes malheurs peu sensibles. Le cœur se tourmente moins quand le corps souffre, & la nature me donne tant d’affaires que l’injustice des hommes ne me touche plus. Le remede est cruel, je l’avoue, mais enfin c’en est un pour moi. Car les plus vives douleurs me laissent toujours quelque relâche, au lieu que les grandes afflictions ne m’en laissent point. Il est donc bon que je souffre, & que je dépérisse pour être moins attristé ; & j’aimerois mieux être Scarron malade, que Timon en santé. Mais si je suis désormais peu sensible aux peines, je le suis encore aux consolations ; & c’en sera toujours une pour moi d’apprendre que vous vous portez bien, que vous êtes heureux, & que vous continuez de m’aimer. Je vous salue, Monsieur, & vous embrasse de tout mon cœur.