Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/40

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qu’on est étonné d’être si foible, pour s’être rendu si puissant.

Ce qui rend encore les conquêtes moins intéressantes, c’est qu’on soit maintenant par quels moyens on peut doubler & tripler sa puissance, non-seulement sans étendre son territoire, mais quelquefois en le resserrant, comme fit très-sagement l’Empereur Adrien. On sait que ce sont les hommes seuls qui font la force des Rois ; & c’est une proposition qui découle de ce que je viens de dire, que de deux Etats qui nourrissent le même nombre d’habitans, celui qui occupe une moindre étendue de terre est réellement le plus puissant. C’est donc par de bonnes loix, par une sage police, par de grandes vues économiques, qu’un Souverain judicieux est sûr d’augmenter ses forces, sans rien donner au hasard. Les véritables conquêtes qu’il fait sur ses voisins, sont les établissemens plus utiles qu’il forme dans ses Etats ; & tous les sujets de plus qui lui naissent, sont autant d’ennemis qu’il tue.

Il ne faut point m’objecter ici que je prouve trop, en ce que, si les choses étoient comme je les représente, chacun ayant un véritable intérêt de ne pas entrer en guerre & les intérêt particuliers l’unissant à l’intérêt commun pour maintenir la paix, cette paix devroit s’établir d’elle-même, & durer toujours sans aucune confédération. Ce seroit faire un fort mauvais raisonnement dans la présente constitution ; car quoiqu’il fût beaucoup meilleur pour tous d’être toujours en paix, le défaut commun de sûreté à cet égard fait que chacun ne pouvant l’assurer d’éviter la guerre, tâche au moins de la commencer à son avantage quand l’occasion le favorise, & de prévenir un voisin qui ne manqueroit pu de le prévenir