Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/401

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette sensibilité qui vous rend mécontent de tout, ne devoit-elle pas se replier sur elle-même ? ne devoit-elle pas pourrir votre cœur d’un sentiment sublime & délicieux d’amour-propre ? n’a-t-on pas toujours en lui la ressource contre l’injustice & le dédommagement de l’insensibilité ? Il est si rare, dites-vous, de rencontrer une ame ; il est vrai ; mais comment peut-on en avoir une, & ne pas se complaire avec elle ? Si l’on lent à la fonde, les

autres étroites & resserrées, on s’en rebute, on s’en détache ; mais après s’être si mal trouvé chez les autres, quel plaisir n’a-t-on pas de rentrer dans sa maison ? Je sais combien le besoin d’attachement rend affligeante aux cœurs sensibles, l’impossibilité d’en former. Je sais combien cet état est triste ; mais je sais qu’il a pourtant des douceurs ; il fait verser des ruisseaux de larmes ; il donne une mélancolie qui nous rend témoignage de nous-mêmes, & qu’on ne voudroit pas ne pas avoir. Il fait rechercher la solitude comme le seul asyle où l’on se retrouve avec tout ce qu’on a raison d’aimer. Je ne puis trop vous le redire, je ne connois ni bonheur ni repos dans l’éloignement de soi-même ; & au contraire, je sens mieux, de jour est jour, qu’on ne peut être heureux sur la terre, qu’à proportion qu’on s’éloigne des choses, & qu’on se rapproche de soi. S’il y a quelque sentiment plus doux que l’estime de soi-même ; s’il y a quelqu’occupation plus aimable que celle d’augmenter ce sentiment, je puis avoir tort. Mais voilà comme je pense ; jugez sur cela, s’il m’est possible d’entrer dans vos vues, & même de concevoir votre état.

Je ne puis m’empêcher d’espérer encore que vous vous trompez sur le principe de votre mal-aise, & qu’au lieu de venir