Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/52

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détourne de leur but. Distinguons donc en politique ainsi qu’en morale l’intérêt réel de l’intérêt apparent ; le premier se trouveroit dans la paix perpétuelle, cela est démontré dans le projet ; le second se trouve dans l’état d’indépendance absolue qui soustrait les Souverains à l’empire de la loi pour les soumettre à celui de la fortune. Semblables à un Pilote insensé, qui, pour faire montre d’un vain savoir & commander à ses matelots, aimeroit mieux flotter entre des rochers durant la tempête que d’assujettir son vaisseau par des ancres.

Toute l’occupation des Rois, ou de ceux qu’ils chargent de leurs fonctions, se rapporte à deux seuls objets, étendre leur domination au-dehors & la rendre plus absolue au dedans ; toute autre vue, ou se rapporte à l’une de ces deux, ou ne leur sert que de prétexte ; telles sont celles du bien public, du bonheur des sujets, de la gloire de la nation, mots à jamais proscrits du cabinet & si lourdement employés dans les édite publics, qu’ils l’annoncent jamais que des ordres funestes, & que le peuple gémit d’avance quand ses maîtres lui parlent de leurs soins paternels.

Qu’on juge sur ces deux maximes fondamentales comment les Princes peuvent recevoir une proposition qui choque directement l’une & qui n’est gueres plus favorable à l’autre ; car on sent bien que par la Diète Européenne le gouvernement de chaque Etat n’est pas moins fixé que par ses limites ; qu’on ne peut garantir les Princes de la révolte des sujets sans garantir en même tems les sujets de la tyrannie des Princes, & qu’autrement l’institution ne sauroit subsister. Or, je demande s’il y a dans le monde un seul Souverain qui, borné ainsi pour