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LETTRE À LORD***.

Wootton le 19 Avril 1766.

Je ne saurois, Mylord, attendre votre retour à Londres ; pour vous faire les remerciemens que je vous dois. Vos bontés m’ont convaincu que j’avois eu raison de compter sur votre générosité. Pour excuser l’indiscrétion qui m’y a fait recourir, il suffit de jetter un coup-d’œil sur ma situation. Trompé par des traîtres qui, ne pouvant me déshonorer dans les lieux où j’avois vécu, m’ont entraîné dans un pays où je suis inconnu & dont j’ignore la langue, afin d’y exécuter plus aisément leur abominable projet, je me trouve jetté dans cette isle après des malheurs sans exemple. Seul, sans appui, sans amis, sans défense, abandonné à la témérité des jugemens publics, & aux effets qui en sont la suite ordinaire, sur-tout chez un peuple qui naturellement n’aime pas les étrangers, j’avois le plus grand besoin d’un protecteur qui ne dédaignât pas ma confiance ; & où pouvois-je mieux le chercher que parmi cette illustre noblesse à laquelle je me plaisois à rendre honneur, avant de penser qu’un jour j’aurois besoin d’elle pour m’aider à défendre mien ?

Vous me dites, Mylord, qu’après s’être un peu amusé, votre public rend ordinairement justice ; mais c’est un amusement bien cruel, ce me semble, que celui qu’on prend aux dépens des infortunés, & ce n’en pas assez de finir par rendre justice,