Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/644

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que vous leur présentez, je doute qu’ils les imitent, mais ils s’en transporteront dans vos pieces, & les aimeront dans les autres hommes, quand on ne les empêchera pas de les y voir. On est encore forcé de les tromper pour les rendre injustes, précaution dont je n’ai pas vu qu’on eût grand besoin pour d’autres peuples. Voilà, Monsieur, comment je pense constamment à l’égard des François, quoique je n’attende plus de leur part qu’injustice, outrages & persécution ; mais ce n’est pas à la nation que je les impute, & tout cela n’empêche pas que plusieurs de ses membres n’aient toute mon estime, & ne la méritent, même dans l’erreur où on les tient. D’ailleurs, mon cœur s’enflamme bien plus aux injustices dont je suis témoin, qu’à celles dont je suis la victime ; il lui manque pour ces dernières, l’énergie & la vigueur d’un généreux désintéressement. Il me semble que ce n’est pas la peine de m’échauffer pour une cause qui n’intéresse que moi. Je regarde mes malheurs comme liés à mon état d’homme & d’ami de la vérité. Je vois le méchant qui me persécute & me diffame, comme je verrois un rocher se détacher d’une montagne & venir m’écraser. Je le repousserois si j’en avois la force, mais sans colere, & puis je le laisserois là sans y plus songer. J’avoue pourtant que ces mêmes malheurs m’ont d’abord pris au dépourvu, parce qu’il en est auxquels il n’est pas même permis à un honnête homme d’être préparé ; j’en ai été cependant plus abattu qu’irrité ; & maintenant que me voilà prêt, j’espere me laisser un peu moins accabler, mais pas plus émouvoir, de ceux qui m’attendent. À mon âge & dans mon état, ce n’est plus la peine de s’en tourmenter, & j’en vois le terme de trop