Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/57

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ces peuples dont on vante le bonheur, tandis que l’on peint comme malheureux parmi nous des hommes dont le travail & l’industrie sont exercés librement & à leur profit ; qui, nés pauvres à la vérité, ne sont pas du moins privés de l’espoir des richesses & sont maintenus par les loix dans la possession de leur liberté, le plus cher de tous les biens, & d’une sorte d’égalité même avec les riches & les puissans.

Les noms de riche & de pauvre sont relatifs, dit-on ; c’est-à-dire que là où il y a des riches, il y a beaucoup de pauvres par comparaison ; mais il est absolument faux qu’il y ait plus de pauvreté réelle ; elle est toujours soulagée par l’espérance, la participation ou les bienfaits de la richesse : il est certain que les fléaux de la famine étoient bien plus fréquens, & bien plus funestes dans les siecles pauvres.

Qu’on nous assure après cela, que s’il n’y avoit point de luxe il n’y aurore point de pauvres : il n’y a qu’un changement à faire à cette proposition, pour qu’elle devienne vraie ; c’est de la rendre précisément contradictoire à elle-même, & de dire qu’il n’y aurore point de pauvres s’il n’y avoir point de luxe. Qu’étoit en effet tout le peuple Romain lorsqu’il se retira en corps de sa patrie, extrémité la plus étrange dont il soit parlé dans aucune histoire ? Qu’étoient tant de nations qui ne pouvant subsister dans leur pays, alloient dans des climats plus heureux conquérir par les armes des terres qui pussent les nourrir ?

Nous avons dit que le luxe occupoit les citoyens oisifs. On nous demande pourquoi il y a des citoyens oisifs ? je réponds que c’est parce qu’ils ne peuvent manquer de l’être par-tout