Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/116

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accusa le prisonnier d’imprudence : j’en mis dans la manière impétueuse dont je le défendis. L’on pardonna cet excès de zèle à celui qu’inspire un ami malheureux & l’on parla d’autre chose. Il y avoit là deux Allemands attachés au prince : l’un, appelé M. Klupffell, homme de beaucoup d’esprit, étoit son chapelain & devint ensuite son gouverneur, après avoir supplanté le baron ; l’autre étoit un jeune homme, appelé M. G[...], qui lui servoit de lecteur en attendant qu’il trouvât quelque place & dont l’équipage très mince annonçoit le pressant besoin de la trouver. Dès ce même soir, Klupffell & moi commençâmes une liaison qui devint bientôt amitié. Celle avec le Sr. G[...]n’alla pas tout à foit si vite : il ne se mettoit guère en avant, bien éloigné de ce ton avantageux que la prospérité lui donna dans la suite. Le lendemain à dîner l’on parla de musique : il en parla bien. Je fus transporté d’aise en apprenant qu’il accompagnoit du clavecin. Après le dîner on fit apporter de la musique. Nous musicâmes tout le jour au clavecin du prince & ainsi commença cette amitié qui d’abord me fut si douce, enfin si funeste & dont j’aurai tant à parler désormais.

En revenant à Paris, j’y appris l’agréable nouvelle que Diderot étoit sorti du donjon & qu’on lui avoit donné le château & le parc de Vincennes pour prison, sur sa parole, avec permission de voir ses amis. Qu’il me fut dur de n’y pouvoir courir à l’instant même ! mais retenu deux ou trois jours chez Mde. D[...]n par des soins indispensables, après trois ou quatre siècles d’impatience, je volai dans les bras de mon ami. Moment inexprimable ! Il n’étoit pas seul.