Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/131

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Cependant elle n’avoit pas vingt ans. Son teint étoit d’une blancheur éblouissante ; sa taille eût été grande & belle, si elle se fût mieux tenue. Ses cheveux, d’un blond cendré & d’une beauté peu commune, me rappeloient ceux de ma pauvre maman dans son bel âge & m’agitoient vivement le cœur. Mais les principes sévères que je venois de me faire & que j’étois résolu de suivre à tout prix, me garantirent d’elle & de ses charmes. J’ai passé durant tout un été trois ou quatre heures par jour tête à tête avec elle, à lui montrer gravement l’arithmétique & à l’ennuyer de mes chiffres éternels, sans lui dire un seul mot galant ni lui jetter une œillade. Cinq ou six ans plus tard je n’aurois pas été si sage ou si fou ; mais il étoit écrit que je ne devois aimer d’amour qu’une fois en ma vie ; & qu’une autre qu’elle auroit les premiers & les derniers soupirs de mon cœur.

Depuis que je vivois chez Mde. D[...]n, je m’étois toujours contenté de mon sort, sans marquer aucun désir de le voir améliorer. L’augmentation qu’elle avoit faite à mes honoraires, conjointement avec M. de F

[ranceui] l, étoit venue uniquement de leur propre mouvement. Cette année M. de F

[ranceui] l, qui me prenoit de jour en jour plus en amitié, songea à me mettre un peu plus au large & dans une situation moins précaire. Il étoit receveur général des finances. M. Dudoyer, son caissier, étoit vieux, riche & vouloit se retirer. M. de F

[ranceui] l m’offrit cette place ; & pour me mettre en état de la remplir, j’allai pendant quelques semaines chez M. Dudoyer prendre les instructions nécessaires. Mais soit que j’eusse peu de talent pour cet emploi, soit que Dudoyer, qui me parut