Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/168

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que ces cinquante louis ne faisoient pas même la somme qui me revenoit dans les règles, ce payement n’avoit rien de commun avec le droit d’entrées formellement stipulé & qui en étoit entièrement indépendant. Il y avoit dans ce procédé une telle complication d’iniquité & de brutalité, que le public, alors dans sa plus grande animosité contre moi, ne laissa pas d’en être unanimement choqué ; & tel qui m’avoit insulté la veille crioit le lendemain tout haut, dans la salle, qu’il étoit honteux d’ôter ainsi les entrées à un auteur qui les avoit si bien méritées & qui pouvoit même les réclamer pour deux. Tant est juste le proverbe italien : qu’ogn’un ama la giustizia in casa d’altrui.

Je n’avois là-dessus qu’un parti à prendre ; c’étoit de réclamer mon ouvrage, puisqu’on m’en ôtoit le prix convenu. J’écrivis pour cet effet à M. d’A

[rgenson] qui avoit le département de l’opéra, & je joignis à ma lettre un mémoire qui étoit sans réplique, & qui demeura sans réponse & sans effet ainsi que ma lettre. Le silence de cet homme injuste me resta sur le cœur & ne contribua pas à augmenter l’estime très médiocre que j’eus toujours pour son caractère & pour ses talents. C’est ainsi qu’on a gardé ma pièce à l’Opéra, en me frustrant du prix pour lequel je l’avois cédée. Du foible au fort, ce seroit voler ; du fort au foible, c’est seulement s’approprier le bien d’autrui.

Quant au produit pécuniaire de cet ouvrage, quoiqu’il ne m’ait pas rapporté le quart de ce qu’il auroit rapporté dans les mains d’un autre, il ne laissa pas d’être assez grand pour me mettre en état de subsister plusieurs années & suppléer