Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/172

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ouvrage de plus grande importance ; car ce fut, je pense, en cette année 1753, que parut le Programme de l’académie de Dijon sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes. Frappé de cette grande question, je fus surpris que cette académie eût osé la proposer ; mais puisqu’elle avoit eu ce courage, je pouvois bien avoir celui de la traiter & je l’entrepris.

Pour méditer à mon aise ce grand sujet je fis à St. Germain un voyage de sept ou huit jours avec Thérèse, notre hôtesse, qui étoit une bonne femme & une de ses amies. Je compte cette promenade pour une des plus agréables de ma vie. Il faisoit très beau ; ces bonnes femmes se chargèrent des soins & de la dépense ; Thérèse s’amusoit avec elles ; & moi, sans souci de rien, je venois m’égayer sans gêne aux heures des repas. Tout le reste du jour, enfoncé dans la forêt, j’y cherchois, j’y trouvois l’image des premiers temps, dont je traçois fièrement l’histoire ; je faisois main basse sur les petits mensonges des hommes ; j’osois dévoiler à nu leur nature, suivre le progrès du tems & des choses qui l’ont défigurée & comparant l’homme de l’homme avec l’homme naturel, leur montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source de ses misères. Mon ame, exaltée par ces contemplations sublimes, s’élevoit auprès de la divinité, & voyant de-là mes semblables suivre, dans l’aveugle route de leurs préjugés, celle de leurs erreurs, de leurs malheurs, de leurs crimes, je leur criois d’une foible voix qu’ils ne pouvoient entendre : insensés, qui vous plaignez sans cesse de la nature, apprenez que tous vos maux vous viennent de vous.

De ces méditations résulta le Discours sur l’inégalité,