Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

révoltante dans un homme comblé des biens de toute espèce qui, du sein du bonheur, cherche à désespérer ses semblables par l’image affreuse & cruelle de toutes les calamités dont il est exempt. Autorisé plus que lui à compter & à peser les maux de la vie humaine, j’en fis l’équitable examen, & je lui prouvai que de tous ces maux, il n’y en avoit pas un dont la providence ne fût disculpée, & qui n’eût sa source dans l’abus que l’homme a fait de ses facultés, plus que dans la nature elle-même. Je le traitai dans cette lettre avec tous les égards, toute la considération, tout le ménagement, & je puis dire avec tout le respect possibles. Cependant lui connoissant un amour-propre extrêmement irritable, je ne lui envoyai pas cette lettre à lui-même, mais au docteur Tronchin son médecin & son ami, avec plein-pouvoir de la donner ou supprimer, selon ce qu’il trouveroit le plus convenable. Tronchin donna la lettre. Voltaire me répondit en peu de lignes, qu’étant malade & garde-malade lui-même, il remettoit à un autre tems sa réponse, & ne dit pas un mot sur la question. Tronchin, en m’envoyant cette lettre, en joignit une, où il marquoit peu d’estime pour celui qui la lui avoit remise.

Je n’ai jamais publié ni même montré ces deux lettres, n’aimant point à faire parade de ces sortes de petits triomphes ; mais elles sont en originaux dans mes recueils. Depuis lors Voltaire a publié cette réponse qu’il m’avoit promise, mais qu’il ne m’a pas envoyée. Elle n’est autre que le roman de Candide, dont je ne puis parler, parce que je ne l’ai pas lu.