Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ne sont pas dans la nature, & leurs leçons ne sont pas assez près de nous. Mais qu’une jeune personne née avec un cœur aussi tendre qu’honnête, se laisse vaincre à l’amour étant fille & retrouve étant femme des forces pour le vaincre à son tour, & redevenir vertueuse ; quiconque vous dira que ce tableau dans sa totalité est scandaleux & n’est pas utile, est un menteur & un hypocrite ; ne l’écoutez pas.

Outre cet objet de mœurs & d’honnêteté conjugale, qui tient radicalement à tout l’ordre social, je m’en fis un plus grand secret de concorde & de paix publique ; objet plus grand, plus important peut-être en lui-même & du moins pour le moment où l’on se trouvoit. L’orage excité par l’Encyclopédie, loin de se calmer, étoit alors dans sa plus grande force. Les deux partis, déchaînés l’un contre l’autre avec la dernière fureur, ressembloient plutôt à des loups enragés, acharnés à s’entre-déchirer, qu’à des chrétiens & des philosophes qui veulent réciproquement s’éclairer, se convaincre & se ramener dans la voie de la vérité. Il ne manquoit peut-être à l’un & à l’autre que des chefs remuans qui eussent du crédit, pour dégénérer en guerre civile ; & Dieu soit ce qu’eût produit une guerre civile de religion, où l’intolérance la plus cruelle étoit au fond la même des deux côtés. Ennemi né de tout esprit de parti, j’avois dit franchement aux uns & aux autres des vérités dures qu’ils n’avoient pas écoutées. Je m’avisai d’un autre expédient, qui, dans ma simplicité, me parut admirable : c’étoit d’adoucir leur haine réciproque en détruisant leurs préjugés, & de montrer à chaque parti le mérite & la vertu dans l’autre, dignes de l’estime publique