Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/274

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si vous entendiez le reste, il vous amuseroit comme cela."

Voici ma réponse à ce terrible argument, dont Diderot paroissoit si fier.

"Je crois avoir répondu au lettré, c’est-à-dire au fils d’un fermier général, que je ne plaignois pas les pauvres qu’il avoit apperçus sur le rempart attendant mon liard ; qu’apparemment il les en avoit amplement dédommagés ; que je l’établissois mon substitut ; que les pauvres de Paris n’auroient pas à se plaindre de cet échange ; que je n’en trouverois pas aisément un aussi bon pour ceux de Montmorency, qui en avoient beaucoup plus de besoin. Il y a ici un bon vieillard respectable, qui, après avoir passé sa vie à travailler, ne le pouvant plus, meurt de faim sur ses vieux jours. Ma conscience est plus contente des deux sous que je lui donne tous les lundis, que des cent liards que j’aurois distribués à tous les gueux du rempart. Vous êtes plaisants, vous autres philosophes, quand vous regardez tous les habitans des villes comme les seuls hommes auxquels vos devoirs vous lient. C’est à la campagne qu’on apprend à aimer & à servir l’humanité ; on n’apprend qu’à la mépriser dans les villes."

Tels étoient les singuliers scrupules sur lesquels un homme d’esprit avoit l’imbécillité de me faire sérieusement un crime de mon éloignement de Paris & prétendoit me prouver, par mon propre exemple, qu’on ne pouvoit vivre hors de la capitale sans être un méchant homme. Je ne comprends pas aujourd’hui comment j’eus la bêtise de lui répondre, & de me fâcher, au lieu de lui rire au nez pour toute réponse.