Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/414

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dont M. & Mde. de Luxembourg me combloient en elle me touchant bien plus vivement encore que celles qu’ils me faisoient directement.

Pendant assez longtemps les choses en restèrent là : mais enfin Mde. la Maréchale poussa la bonté jusqu’à vouloir retirer un de mes enfans. Elle savoit que j’avois fait mettre un chiffre dans les langes de l’aîné ; elle me demanda le double de ce chiffre ; je le lui donnai. Elle employa pour cette recherche la Roche, son valet de chambre & son homme de confiance, qui fit de vaines perquisitions & ne trouva rien, quoiqu’au bout de douze ou quatorze ans seulement, si les registres des Enfans-trouvés étoient bien en ordre, ou que la recherche eût été bien faite, ce chiffre n’eût pas dû être introuvable. Quoiqu’il en soit, je fus moins fâché de ce mauvais succès que je ne l’aurois été si j’avois suivi cet enfant dès sa naissance. Si à l’aide du renseignement on m’eût présenté quelque enfant pour le mien, le doute si ce l’étoit bien en effet, si on ne lui en substituoit point un autre, m’eût resserré le cœur par l’incertitude, & je n’aurois point goûté dans tout son charme le vrai sentiment de la nature : il a besoin, pour se soutenir, au moins durant l’enfance, d’être appuyé sur l’habitude. Le long éloignement d’un enfant qu’on ne connaît pas encore affaiblit, anéantit enfin les sentimens paternels & maternels ; & jamais on n’aimera celui qu’on a mis en nourrice comme celui qu’on a nourri sous ses yeux. La réflexion que je fois ici peut exténuer mes torts dans leurs effets, mais c’est en les aggravant dans leur source.