Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/72

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qu’elle nous laissa payer sans façon ; mais elle donna partout des tringueltes beaucoup plus forts que tout ce que nous avions dépensé. Par l’indifférence avec laquelle elle jetoit son argent & nous laissoit jetter le nôtre, on voyoit qu’il n’étoit d’aucun prix pour elle. Quand elle se faisoit payer, je crois que c’étoit par vanité plus que par avarice. Elle s’applaudissoit du prix qu’on mettoit à ses faveurs.

Le soir nous la ramenâmes chez elle. Tout en causant, je vis deux pistolets sur sa toilette. Ah ! ah ! dis-je en en prenant un, voici une boîte à mouches de nouvelle fabrique ; pourroit-on savoir quel en est l’usage ? Je vous connois d’autres armes qui font feu mieux que celles-là. Après quelques plaisanteries sur le même ton, elle nous dit, avec une naive fierté qui la rendoit encore plus charmante : Quand j’ai des bontés pour des gens que je n’aime point, je leur fois payer l’ennui qu’ils me donnent ; rien n’est plus juste : mais en endurant leurs caresses, je ne veux pas endurer leurs insultes, & je ne manquerai pas le premier qui me manquera.

En la quittant, j’avois pris son heure pour le lendemain. Je ne la fis pas attendre. Je la trouvai in vestito di confidenza : dans un déshabillé plus que galant, qu’on ne connaît que dans les pays méridionaux & que je ne m’amuserai pas à décrire, quoique je me le rappelle trop bien. Je dirai seulement que ses manchettes & son tour de gorge étoient bordés d’un fil de soie garni de pompons couleur de rose. Cela me parut animer une fort belle peau. Je vis ensuite que c’étoit la mode à Venise ; & l’effet en est si charmant, que je suis surpris que cette mode n’ait jamais