Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/63

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faites-moi refuser votre porte ; chassez-moi comme il vous plaira ; je puis tout endurer de vous ; je ne puis vous fuir de moi-même.

Vous, me chasser ! moi, vous fuir ! & pourquoi ? Pourquoi donc est-ce un crime d’être sensible au mérite, & d’aimer ce qu’il faut qu’on honore ? Non, belle Julie ; vos attraits avoient ébloui mes yeux ; jamais ils n’eussent égaré mon cœur, sans l’attrait plus puissant qui les anime. C’est cette union touchante d’une sensibilité si vive & d’une inaltérable douceur ; c’est cette pitié si tendre à tous les maux d’autrui ; c’est cet esprit juste & ce goût exquis qui tirent leur pureté de celle de l’âme ; ce sont, en un mot, les charmes des sentimens bien plus que ceux de la personne, que j’adore en vous. Je consens qu’on vous puisse imaginer plus belle encore ; mais plus aimable & plus digne du cœur d’un honnête homme ; non, Julie, il n’est pas possible.

J’ose me flatter quelquefois que le Ciel a mis une conformité secrete entre nos affections, ainsi qu’entre nos goûts & nos âges. Si jeunes encore, rien n’altere en nous les penchans de la nature, & toutes nos inclinations semblent se rapporter. Avant que d’avoir pris les uniformes préjugés du monde, nous avons des manieres uniformes de sentir & de voir, & pourquoi n’oserois-je imaginer dans nos cœurs ce même concert que j’apperçois dans nos jugemens ? Quelquefois nos yeux se rencontrent ; quelques soupirs nous échappent en même-tems ; quelques larmes furtives… ô Julie ! si cet accord venoit de plus loin… si le Ciel nous avoit destinés… toute la force humaine… ah ! pardon ! je m’égare : j’ose