Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/78

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sommes jeunes tous deux, il est vrai ; nous aimons pour la premiere & l’unique fois de la vie, & n’avons nulle expérience des passions : mais l’honneur qui nous conduit est-il un guide trompeur ? a-t-il besoin d’une expérience suspecte qu’on n’acquiert qu’à force de vices ? J’ignore si je m’abuse, mais il me semble que les sentimens droits sont tous au fond de mon cœur. Je ne suis point un vil séducteur comme tu m’appelles dans ton désespoir, mais un homme simple & sensible, qui montre aisément ce qu’il sent, & ne sent rien dont il doive rougir. Pour dire tout en un seul mot, j’abhorre encore plus le crime que je n’aime Julie. Je ne sais, non, je ne sais pas même si l’amour que tu fais naître est compatible avec l’oubli de la vertu ; & si tout autre qu’une ame honnête peut sentir assez tous tes charmes. Pour moi, plus j’en suis pénétré, plus mes sentimens s’élevent. Quel bien, que je n’aurois pas fait pour lui-même, ne ferois-je pas maintenant pour me rendre digne de toi ? Ah ! daigne te confier aux feux que tu m’inspires, & que tu saissi bien purifier ; crois qu’il suffit que je t’adore pour respecter à jamais le précieux dépôt dont tu m’as chargé. Oh ! quel cœur je vais posséder ! Vrai bonheur, gloire de ce qu’on aime, triomphe d’un amour qui s’honore, combien tu vaux mieux que tous ses plaisirs !