Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/125

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ils se dédommagent alors de la longue contrainte où on les a tenus, comme un prisonnier, délivré des fers, étend, agite & fléchit ses membres.

Émile, au contraire, s’honore de se faire homme, & de s’assujettir au joug de la raison naissante ; son corps, déjà formé, n’a plus besoin des mêmes mouvements, & commence à s arrêter de lui-même, tandis que son esprit, à moitié développé, cherche à son tour à prendre l’essor. Ainsi l’âge de raison n’est pour les uns que l’âge de la licence ; pour l’autre, il devient l’âge du raisonnement.

Voulez-vous savoir lesquels d’eux ou de lui sont mieux en cela dans l’ordre de la nature ? considérez les différences dans ceux qui en sont plus ou moins éloignés : observez les jeunes gens chez les villageois, & voyez s’ils sont aussi pétulants que les vôtres. Durant l’enfance des sauvages, dit le sieur Le Beau, on les voit toujours actifs, & s’occupant sans cesse à différents jeux qui leur agitent le corps ; mais à peine ont-ils atteint l’âge de l’adolescence, qu’ils deviennent tranquilles, rêveurs ; ils ne s’appliquent plus guère qu’à des jeux sérieux ou de hasard [1]. Émile, ayant été élevé dans toute la liberté des jeunes paysans & des jeunes sauvages, doit changer & s’arrêter comme eux en grandissant. Toute la différence est qu’au lieu d’agir uniquement pour jouer ou pour se nourrir, il a, dans ses travaux & dans ses jeux, appris a penser. Parvenu donc à ce terme par cette route, il se trouve tout disposé pour celle

  1. Aventures du sieur C. Le Beau, avocat au parlement t.II, p 70.