Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/144

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plusieurs hommes transportés d’amour achetèrent volontairement de leur vie une nuit de Cléopâtre, & ce sacrifice n’est pas impossible à l’ivresse de la passion. Mais supposons que l’homme le plus furieux, & ce le qui commande le moins à ses sens, vit l’appareil du supplice, sûr d’y périr dans les tourments un quart d’heure après ; non seulement cet homme, dès cet instant, deviendrait supérieur aux tentations, il lui en coûteroit même peu de leur résister : bientôt l’image affreuse dont elles seroient accompagnées le distrairoit d’elles ; &, toujours rebutées, elles se lasseroient de revenir. C’est la seule tiédeur de notre volonté qui fait toute notre faiblesse, & l’on est toujours fort pour faire ce qu’on veut fortement ; volenti nihil difficile. Oh ! si nous détestions le vice autant que nous aimons la vie, nous nous abstiendrions aussi aisément d’un crime agréable que d’un poison mortel dans un mets délicieux.

Comment ne voit-on pas que, si toutes les leçons qu’on donne sur ce point à un jeune homme sont sans succès, c’est qu’elles sont sans raison pour son age, & qu’il importe à tout âge de revêtir la raison des formes qui la fassent aimer ? Parlez-lui gravement quand il le faut ; mais que ce que vous lui dites ait toujours un attrait qui le force à vous écouter. Ne combattez pas ses désirs avec sécheresse ; n’étouffez pas son imagination, guidez-la de peur qu’elle n’engendre des monstres. Parlez-lui de l’amour, des femmes, des plaisirs ; faites qu’il trouve dans vos conversations un charme qui flatte son jeune cœur ; n’épargnez rien pour devenir son confident : ce n’est qu’à ce titre que vous serez vraiment son maître.